Hommage à Jean Tchékan

Hommage à Jean Tchékan

Le serviteur de Dieu Jean Tchékan s’est endormi dans le Seigneur mercredi 21 juillet 2021 au terme d’une longue maladie. Né en 1933, fils du père Alexandre et de Marie de Miller, père de deux garçons et grand-père plusieurs fois, Jean Tchékan a été pour beaucoup un phare, un guide dans l’orthodoxie du XXe siècle avec son épouse Xénia à ses côtés.
Peu scolaire, il a obtenu un diplôme administratif qu’il a peu voire pas utilisé, il a étudié à l’Institut Saint-Serge mais n’a pas terminé la formation. Il enseigna le russe à l’université des Langues Orientales (aujourd’hui Inalco). Parallèlement à sa vie familiale et professionnelle, il démarra très jeune le « journalisme orthodoxe » en créant ou en participant activement à différentes revues, entre autres le journal des scouts russes ou, toujours en russe, le bulletin « Le Clou », puis le bulletin de la Jeunesse orthodoxe en langue française. C’est ainsi que naturellement il co-fonda le Service Orthodoxe de Presse (SOP), qui devint très rapidement une référence dans l’orthodoxie non seulement francophone mais aussi internationale.
Il avait une grande soif de connaissance de l’Église. Sa connaissance de la théologie, de l’ordo et de la pratique liturgique faisait de lui un véritable passeur. Il avait un véritable don pour la pédagogie. Un certain nombre de ses élèves de russe ont été affermis dans leur foi ou ont rencontré l’orthodoxie par son intermédiaire.
Nous vous proposons ci-dessous deux témoignages en hommage à l’homme de foi qu’il fut. Que le Seigneur accueille le serviteur Jean dans son Royaume. Le Christ est ressuscité!

Jean Tchékan, au service de l’Église.

Jean Tchékan que j’ai connu au sein de la Fraternité orthodoxe en Europe occidentale et au fil des congrès européens et conseils en région, reste pour moi comme pour beaucoup de personnes venues à l’Orthodoxie, une référence et un modèle. S’il est une chose qu’il nous a inculquée par son exemple et ses conseils judicieux, c’est bien le service inconditionnel, désintéressé et créatif de l’Église.
Lui même l’a servie avec une fidélité constante par ses engagements au sein des Fraternités, la création avec le père Michel Evdokimov du SOP organe majeur d’information et de réflexion incontournable pendant plusieurs décennies.
Jean a été un recours précieux pour la Fraternité de l’Ouest qu’il a accompagnée dès ses débuts dans les années 70 aux côtés des couples Korotkoff, Zimine, Roberti, participant à nos rencontres, venant au secours de nos chœurs balbutiants, exposant quelques point de théologie de manière accessible et nous racontant la vie ecclésiale avec un humour   percutant.
Cet humour il le partageait avec ses amis Vsevolod Gousseff ou Nicolas Lossky et nous nous sommes tous régalés de ses anecdotes contées avec ses talents d’imitateur qui faisaient des ravages lors des sessions œcuméniques de Pomeyrol.
Jean, comme nos pères dans la foi de cette génération porteuse du meilleur de la tradition qu’elle soit russe, grecque, antiochienne, roumaine ou …française (avec les pères Boris Bobrinskoy et Cyrille Argenti, Olivier Clément..), nous a fait découvrir une Orthodoxie vivante, à visage humain, bienveillante, festive, radicalement libre et profondément  enracinée en Christ.
Que le Seigneur lui accorde une mémoire éternelle dans nos cœurs et l’accueille dans Sa lumière comme lui même a accueilli avec son épouse Xenia, tant d’entre nous.
Michèle Nikitine (paroisse de la Nativité du Christ -Le Mans)
Présidente de la Fraternité orthodoxe de l’Ouest

Jean Tchékan
Jean Tchékan

Comme un phare dans la nuit…

Ma première rencontre avec Jean Tchékan, a eu lieu un soir d’automne 1984. Elle fut totalement imprévue et improvisée. Je dois dire aussi qu’elle est indissociable de la situation difficile dans laquelle je me trouvais à cette époque. Elle pourrait s’intituler: « La bonne personne, au bon moment. »
Après plusieurs années de traversée du désert sur un plan spirituel, j’ai rencontré l’Orthodoxie, à la fois par des lectures et aussi, de manière plus concrète, par un ami qui était membre d’une paroisse orthodoxe de langue française, elle-même rattachée à une Église dont je devais vite me rendre compte qu’elle posait problème, par son isolement, à la conscience orthodoxe. Je dois dire qu’à l’époque, je ne connaissais absolument rien aux problèmes de juridictions et de canonicité. Et un après-midi d’automne, donc, au cours d’une visite à « La Procure », je tombe, par un hasard auquel je ne crois pas du tout, sur une revue oecuménique, qui parle, précisément de tous les problèmes que posait cette Eglise. Je suis fortement interpellé à la lecture de l’article, qui se termine par une référence: « Voir SOP, Service Orthodoxe de Presse, 14, rue Victor Hugo, Courbevoie. » Rien d’autre, pas de numéro de téléphone. Pris par une sorte d’impulsion irrépressible, je décide alors de sauter dans le premier métro: objectif: Courbevoie. Il faut dire aussi que j’appartiens à cette génération qui n’a pas toujours connu le téléphone, et qui a gardé l’usage, dans certaines circonstances, de débarquer à l’improviste.
J’arrive donc au 14, rue Victor Hugo, sous une pluie battante. Arrivé à l’étage indiqué, je vois deux portes, une à gauche, une à droite, je choisis celle de gauche. J’avais frappé à la bonne porte, dans les deux sens du terme. La porte s’ouvre, et je me trouve face à un monsieur barbu. Je me présente, comme un chien mouillé, tout dégoulinant de pluie. Le monsieur m’invite à entrer. Et spontanément, je lui fais part de mes interrogations. Je devais très rapidement me rendre compte que ce soir là, ce n’était pas une simple porte de bois qui venait de s’ouvrir.
Après plus d’une heure d’horloge, j’en avais appris beaucoup certes, sur les questions de juridiction et de canonicité, mais surtout, j’en avais appris beaucoup sur les qualités humaines de cet homme que désormais je ne connaitrais plus que sous le nom de « Jean ». C’est d’abord cette disponibilité; il aurait pu me dire: « je n’ai pas le temps. Revenez plus tard ! » Mais non. Il a pris son temps, il a donné son temps. Comme s’il avait pressenti mon besoin urgent, vital, de réponse. J’ai apprécié son écoute, son attention, sa compréhension. Et aussi sa clarté, sa précision dans l’exposition des faits, son objectivité et son discernement, et surtout, l’absence de jugement de valeur sur les personnes évoquées. Ce soir là ont été posées les bases d’une grande confiance.
Suite à cette première rencontre, je devais revoir Jean à l’occasion de différentes conférences ou célébrations. Mais surtout, je me rappellerai toujours ce dimanche qui a suivi mon arrivée à la Crypte. À la fin de la liturgie, mû une fois de plus par je ne sais quelle impulsion, je vais vers Jean, et nous avons ce dialogue très bref:
_Tu sais, Jean, je dispose d’un peu de temps, et si tu as besoin d’un peu d’aide pour le SOP, je peux…
_ Ah oui ? Eh bien viens donc déjeuner demain à midi à la maison. On en parlera.
Et voilà. J’étais tombé dans le « piège » que j’avais moi-même tendu. Un piège redoutable mais merveilleux. En fait, j’en avais pris pour vingt ans.
Le lendemain donc, j’étais fidèle au rendez-vous, et j’ai eu le grand plaisir, ce jour là, de faire la connaissance de Xénia, qui désormais serait toujours associée à Jean dans mes pensées. Vingt ans de collaboration au SOP, qui m’ont permis de connaître toutes les étapes de sa « fabrication », même si mon travail consistait surtout en relecture, parfois en transcription ou en rédaction. Sans oublier les suppléments du SOP, véritable mine de formation théologique. Bien-sûr, ces vingt années m’ont permis aussi de mieux connaître Jean, sa personnalité, ses qualités, ses défauts. De ceux-là, je ne parlerai pas aujourd’hui. Tout le monde les connaît. D’autant plus qu’il ne faisait rien pour les cacher. Jean était le contraire d’un hypocrite. Il prenait les gens tels qu’ils étaient et non pas comme il aurait voulu qu’ils soient. Et nous essayions de le lui rendre de la même façon.
Je me rappelle encore, pour avoir passé de nombreux offices et liturgies à ses côtés, ses grandes connaissances théologiques et sa parfaite connaissance de la liturgie, ses remarques à voix haute, qui d’ailleurs ne plaisaient pas toujours à tout le monde. Mais tout ce que disait Jean était toujours solidement étayé et fondé. Il ne se contentait jamais de dire: « c’est la tradition, c’est comme ça! » Il y avait toujours une explication, une source. Il y avait chez lui à la fois une grande rigueur, un solide enracinement dans la tradition, mais une tradition vivante et non figée, donc une véritable ouverture d’esprit, sans compromission, et une vision de l’Église que nous sommes encore nombreux à partager avec lui, malgré toutes les difficultés.
Disons encore que ses connaissances, théologiques et autres, étaient aussi des connaissances vivantes. En fait, ce que disait Jean tenait la route, parce qu’il le vivait vraiment. Il y avait une véritable adéquation entre ce qu’il disait et ce qu’il vivait. Chose rare, malheureusement. Des connaissances sans amour ne sont rien.
Au cours de mon passage de plus de trente ans à Daru, j’ai eu trois « phares ». Ces phares qui éclairent le chemin dans la nuit. Il y a eu Jean Tchekan, Alexandre Rehbinder et Vsévolode Goussev. J’allais écrire: le dernier d’entre eux vient de s’éteindre. Mais je n’en suis pas sûr. Je crois même qu’aucun d’entre eux n’est éteint. La mort est souvent associée à l’idée de repos éternel. Mais je ne marche pas. Et aujourd’hui, j’aurai encore une chose à dire à Jean: « Non, Jean. Pas question de te reposer. Tu vas continuer à travailler. Tu vas continuer à briller dans la nuit, comme le phare que tu as été, que tu es encore, et que tu seras toujours. »
Y.P.

Article ajouté au panier
0 Produit - 0,00