Unité dans la diversité 

Saint Paul imposant les mains sur les nouveaux baptisés,

Bâtir l’unité dans la diversité : le rôle prophétique des paroisses et des mouvements de laïcs

Nous vous proposons ci-dessous l’intervention de Cyrille Sollogoub1, bâtir l’unité dans la diversité, donnée dans le cadre de la table ronde intitulée “Unité et diversité dans l’Église” lors des Rencontres du Vicariat 2025.

Il est difficile de parler d’unité, alors que tout, dans notre actualité comme dans notre expérience — y compris, et peut-être surtout, ecclésiale — semble marqué par la division. Cette absence d’unité se manifeste à tous les niveaux de notre existence : à l’échelle mondiale, où les conflits se multiplient ; au niveau national, où nos sociétés se fragmentent toujours davantage ; entre chrétiens, où le dialogue œcuménique paraît dans l’impasse ; au sein même de notre Église orthodoxe, minée par un schisme qui, lentement mais sûrement, s’installe ; jusque dans l’orthodoxie en France, où les communautés restent cloisonnées, parfois repliées sur elles-mêmes — et jusque, enfin, dans nos paroisses.

Pourtant, comme nous le proclamons dans le Credo, nous croyons en l’unité de l’Église et en la possibilité de vivre, en son sein, une unité véritable dans la diversité. Plus encore, nous croyons que cette unité, loin de se limiter à la seule vie ecclésiale, est appelée à rayonner au-delà d’elle, à se répandre, à transfigurer la société tout entière. Encore faut-il, pour cela, que l’Église ne devienne pas un ghetto refermé sur lui-même, où l’on étouffe, retranché de l’histoire et du monde. Il faut aussi que nos paroisses ne se réduisent pas à des enclaves liturgiques figées, imperméables à la vie et à la mission.

Que pouvons-nous faire, ici et maintenant, pour que l’unité dans la diversité cesse d’être un idéal lointain et devienne une réalité vécue ?

Saint Paul : premier ecclésiologue

Cette question de l’unité dans la diversité n’est pas nouvelle et a préoccupé les chrétiens dès le début du christianisme. On trouve ces interrogations déjà chez saint Paul, que l’on peut considérer comme le premier théologien de l’ Église et qui nous propose cette magnifique image de l’Église comme corps, dont la tête est le Christ et dont nous sommes les membres.

Sur l’unité de ce corps, il a ces paroles magnifiques :”Il y a un seul corps et un seul Esprit, de même que votre vocation vous a appelés à une seule espérance ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui règne sur tous, agit par tous, et demeure en tous.” “(Eph 4, 4-6).

Mais cette unité ne signifie nullement uniformité et là encore saint Paul l’exprime avec force en insistant sur la diversité des dons et des charismes de chacun : « Et les dons qu’il a faits, ce sont des apôtres, des prophètes, des évangélistes, des pasteurs et des catéchètes, afin de mette les saints en état d’accomplir le ministère pour bâtir le corps du Christ ». (Eph 4, 11)

Mais il sait également que l’unité n’est pas un fait accompli, mais en cours d’édification : « Mais confessant la vérité dans l’amour, nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête, Christ. Et c’est de lui que le corps tout entier, coordonné et bien uni grâce à toutes les articulations qui le desservent, selon une activité répartie à la mesure de chacun, réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour » (Eph 4, 15-16).

La paroisse – le lieu par excellence de l’incarnation de l’unité dans la diversité

L’Église se manifeste, se réalise et se vit avant tout pour nous à travers ces cellules eucharistiques vivantes que sont les paroisses. C’est par elles que nous sommes incorporés au corps de l’Église : pour beaucoup, la paroisse constitue le premier contact concret, charnel, avec elle. C’est en leur sein que nous pouvons véritablement nous engager au service de l’Église, participer non seulement à ses sacrements, mais aussi prendre part activement à sa mission et à son témoignage dans la société. C’est donc par notre engagement au sein de la paroisse, et en œuvrant à la qualité de la vie paroissiale, que nous pouvons commencer — ici et maintenant, concrètement, au cœur de notre entourage immédiat — à poser, dans l’humilité et la foi, les fondations d’une véritable unité dans la diversité.

Nos paroisses doivent être avant tout des lieux de célébration de la liturgie et des sacrements, c’est clair ! C’est en particulier la communion au Corps et au Sang du Christ qui constitue la communauté, fonde son unité, et en fait une réalité nouvelle, radicalement différente de toute autre organisation sociale. Mais la vie de nos paroisses ne doit pas se réduire à la vie liturgique et sacramentelle : elles doivent être des lieux d’apprentissage de la vie fraternelle, des lieux d’enseignement, de diaconie ou d’action sociale. C’est ainsi qu’elles seront le plus conformes aux premières communautés chrétiennes, d’après la description que nous en avons dans les Actes des Apôtres : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres et à la communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières » (Ac 2, 42) « Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous, selon les besoins de chacun ». Les agapes, les temps de convivialité, les échanges catéchétiques et théologiques, les partages autour de la Parole de Dieu, ainsi que les actions en faveur des plus faibles et des plus vulnérables, ne sont en rien secondaires par rapport aux célébrations liturgiques. Ils en sont le prolongement naturel, le fruit vivant, et participent pleinement à la vie de l’Église.

Nos paroisses doivent être des lieux d’ouverture, d’accueil de tous, de rassemblement où tous les âges, sexes, métiers, cultures, opinions, sensibilités se rencontrent. Il ne peut y avoir de ségrégation ou de tri dans nos paroisses. En particulier, et c’est là une des richesses de notre réalité locale, nos paroisses doivent accueillir les fidèles orthodoxes de tous les horizons et d’origines nationales diverses : grecs, russes, roumains, bulgares, serbes, libanais, français, … (cette réalité concerne d’ailleurs bien plus les paroisses en régions que celle de Paris). Elles doivent ainsi respecter la particularité, l’état de sainteté, d’avancement dans la foi, l’engagement et le rythme de chacun. Et refléter ces diversités Ainsi, elles reflèteront l’image de la Trinité et incarneront réellement ce que décrit Saint Paul : « Il n’y a plus ni Grecs, ni Juifs, ni Scyhtes, ni barbares, ni esclaves ni hommes libres, ni hommes ni femmes, il y a le Christ qui est tout en tous » (Col 3, 11).

Nos paroisses doivent devenir des lieux vivants de conciliarité — j’y reviendrai plus loin — où les responsabilités pastorales et liturgiques sont véritablement partagées entre clercs et laïcs. Prêtres et fidèles sont appelés à être coresponsables de la vie de la paroisse, non seulement dans son organisation quotidienne, mais surtout dans sa mission et dans le témoignage qu’elle rend au monde. Cette coresponsabilité n’est pas une concession moderne, mais une expression fidèle de la nature même de l’Église, Corps du Christ où chaque membre a sa place et sa fonction.

Enfin, nos paroisses doivent être des lieux de dialogue — en particulier avec le monde qui les entoure. C’est dans cette rencontre, parfois exigeante mais toujours féconde, avec les réalités concrètes de nos sociétés que l’Église accomplit pleinement sa mission. Ce dialogue implique une confrontation constructive, créatrice, avec les questions, les blessures, mais aussi les aspirations du monde contemporain. Dans cette rencontre, la vie de l’Église est certes mise à l’épreuve, parfois bousculée, mais c’est précisément là qu’elle se renouvelle, qu’elle se purifie, et qu’elle se laisse vivifier par l’Esprit.

Les mouvements de laïcs, complémentaires aux paroisses.

À côté des paroisses, les mouvements de laïcs (ou fraternités) occupent une place essentielle. Loin de s’opposer aux paroisses, ils en complètent l’action et viennent parfois pallier certaines de leurs limites et manquements. Ils peuvent être comparés aux articulations évoquées par saint Paul, qui assurent la coordination et l’unité de l’ensemble du corps ecclésial. Plus encore que les paroisses, ces mouvements se situent à l’interface entre l’Église et le monde. Bien qu’ils soient apparus dès les premiers siècles de la vie de l’Église, leur rôle s’est accru et clarifié à la faveur de la fin de l’ère constantinienne de la vie de l’Église. Pour nous, ce tournant historique correspond à la chute de l’Empire russe lors de la Révolution bolchévique, qui a marqué la fin d’un christianisme porté par les structures étatiques. Dans ce contexte, les laïcs ont redécouvert leur vocation propre et leur responsabilité dans la vie de l’Église : responsabilité dans son cheminement historique, dans la sauvegarde de son unité, et dans le témoignage qu’elle rend au monde.

L’histoire récente de l’orthodoxie a montré que ces mouvements constituent des lieux privilégiés d’incarnation de l’idéal évangélique et de renouveau de la vie fraternelle en Christ. Ils offrent un espace unique de formation de membres conscients et responsables de l’Église, contribuant à revitaliser la conciliarité et à lutter contre le cléricalisme — ce fléau toujours latent qui menace la vitalité de nos Églises. Ces mouvements sont aussi des laboratoires de service, de créativité et d’engagement, où souffle l’Esprit et où peut s’inventer, au cœur même du monde, une Église fidèle à sa mission.

Dans notre contexte particulier d’Europe occidentale, ces mouvements offrent des potentialités uniques pour favoriser le dialogue et construire des ponts d’unité. Ils représentent un lieu concret où les orthodoxes issus de différentes juridictions peuvent se rencontrer, prier et œuvrer ensemble.

Conclusion Notre objectif n’est donc pas de chercher à créer cette unité, puisqu’elle nous est déjà donné mystérieusement dans le Corps du Christ. Mais nous avons à la manifester, à la rendre crédible, visible, palpable. C’est là notre mission prophétique dans un monde fracturé et divisé : annoncer, par la qualité de notre communion dans nos paroisses et nos mouvements, qu’un autre vivre-ensemble est possible, et qu’il a déjà commencé dans l’Église.

  1. Laïc engagé dans la vie de l’Église, Cyrille Sollogoub est chef de chœur de la paroisse saint Jean le Théologien à Meudon. Il a aussi été pendant de longues années président de l’ACER-MJO ↩︎
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